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La guerre des intelligences à l’heure de CHAT GPT

Dr Laurent Alexandre (JC Lattès, 24 mai 2023)

LE  PROPOS EN RÉSUMÉ

Pour le Dr Laurent Alexandre, ChatGPT est une révolution dans la production de réseaux de neurones artificiels. « Sa capacité à simuler l’esprit humain est bouleversante même s’il souffre d’hallucinations numériques (lorsqu’il ignore un sujet, ChatGTP invente avec un aplomb déconcertant) ».

L’IA est aujourd’hui quasi gratuite et devient un concurrent direct et ultra compétitif contre l’intelligence biologique « rare, limitée, longue à produire, extrêmement coûteuse, fait grève et conteste la valeur travail ». Le capitalisme va changer en devenant cognitif (les cerveaux et les connaissances seront le produit), les équilibres sociaux et politiques vont être bouleversés.

Si les bases de l’IA ont été posées dès 1940 par Alan Turing, la recherche sur l’IA a connu des hauts et des bas. La vague actuelle date des années 2010 et est due à un changement de méthode amorcé par le deep learning permettant l’apparition d’IA génératives (IA de troisième génération) qui s’éduquent (grâce au big data indispensable) plus qu’ils se programment, et sont dotés de réseaux de neurones artificiels puissants (LLM).

Prochaines grandes étapes :

–       Une IA forte avec une conscience artificielle (avant 2030) donc ouvrant la porte à une IA qui peut faire preuve d’élasticité et supplanter l’intelligence humaine

–       La fusion IA et métavers (autour de 2030) et donc une disparition programmée de la réalité ?

–       L’utilisation de nanorobots branchés sur nos neurones (2035). Voir Neuralink, la société créée par Musk qui promet des premiers prototypes pour 2025. La porte ouverte au neurohacking et à la neurodictature ?

–       Transfert de notre mémoire et de notre conscience dans des microprocesseurs (2045), une première forme d’immortalité

–       L’ordinateur quantique (autour de 2050), bien plus puissant que l’ordinateur classique.

Le champ du possible ne connait presque plus de limites et les risques sont en conséquence. Tout va très vite. Au point de devenir incontrôlable ?

Elon Musk a averti que l’IA est plus dangereuse que l’arme nucléaire (tout en investissant dans une nouvelle société d’IA non bridée). Or le secteur de la recherche en IA est financé et soutenu par le privé (et non plus les États, même si en Chine la frontière est floue), par les géants des GAFAM et leurs homologues asiatiques BATX. « Les consommateurs – nous-même – sont les idiots utiles de l’IA en abandonnant aux grands opérateurs du numérique un véritable trésor : leur patrimoine social, économique, émotionnel ».

Mais comment réguler le secteur ? Cela demanderait une régulation au niveau mondial de pays qui n’ont pas les mêmes valeurs. En outre seule l’IA serait capable de maîtriser l’IA et ses dérives. Bref il faudra une hyperrégulation pour contrer l’hyperpouvoir conféré par les technologies NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information et sciences cognitives) qui se développent à un rythme exponentiel, entrainant une crise mondiale de la démocratie renforcée par le foisonnement de réalités alternatives.

Les transhumanistes sont pour leur part convaincus de l’avantage des NBIC :

–      La création d’un bébé à la carte, donc optimisé, est un choix rationnel qui deviendra une nécessité pour donner le maximum de chances à nos enfants

–      Le mélange entre biologique et robotique (implants,…) doit être favorisé pour optimiser l’humain

–      Dans une optique humaniste, il faut retarder puis « tuer » la mort (voir Calico, la société créée par Google)

–      La conquête spatiale fera mentir les collapsologues

Or la société n’est pas prête à encaisser le choc. L’éducation et la plupart des politiques font preuve de technophobie. Face à l’IA forte, « il est urgent d’entourer nos enfants de spécialistes de la transmission de connaissance ». Et au sommet de l’état il faudrait plus d’ingénieurs.

Le QI de ChatGPT 4 est de 96, soit supérieur à 46% des Français. Les inégalités vont se creuser en donnant un immense avantage aux individus dotés d’une forte intelligence conceptuelle et déclassant les classes moyennes et populaires. Le capitalisme cognitif aura besoin de cerveaux biologiques capables de manager des IA. Le travail existera toujours mais la plupart des métiers actuels vont disparaitre. Une période de transition et de déséquilibres qui risque de durer une centaine d’années et où le populisme risque de s’épanouir. L’éducation devra se réinventer.

Et la France dans tout ça ? « ChatGPT sème un vent de panique chez les géants du web qui se mobilisent pour conserver leurs monopoles… la France peut donc rentrer dans la course à l’occasion de ce changement de paradigme technologique… Cela suppose aussi de ne pas s’épuiser en discussions stériles sur les enjeux éthiques et philosophiques de l’IA pendant que nos concurrents vont développer les usines intellectuelles du futur. Avançons d’abord, on régulera ensuite. »

In fine, tout en reconnaissant les dangers qui guettent l’humanité, on ne peut se permettre de rester sur le bord de la route. Laurent Alexandre conseille donc d’avancer vite, de refuser le défaitisme et le passéisme (notamment celui des collapsologues écologistes anti-humanistes et des bioconservateurs) qui « condui(sent) l’Europe au suicide et nos enfants au Prozac ».

ANALYSE

Le livre, clair et pédagogique, est destiné au grand public. C’est une bonne introduction à la thématique de l’intelligence artificielle, mais attention il s’agit d’un essai avec des prises de position très pro AI, avec de nombreux parti pris qui mériteraient de la contradiction, et non d’un guide d’utilisation ou une présentation de Chat GPT 4 ou un livre vous expliquant en détail le fonctionnement de l’AI.

L’auteur, Laurent Alexandre, est chirurgien-urologue de formation et également énarque. Entrepreneur, c’est l’un des co-fondateurs du site Doctissimo (revendu à Lagardère en 2008) et un investisseur dans les NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives). Il est aussi auteur ou co-auteur de plusieurs livres sur le sujet de l’impact des nouvelles technologies sur l’humanité (robots, santé, politique,…).

« La guerre des intelligences à l’heure de Chat GPT » est un livre que Laurent Alexandre avait commencé bien avant l’arrivée de Chat GPT 4 (dont la sortie date rappelons-le de mars 2023 soit deux mois avant la publication du livre). Ce dernier est clairement le fruit d’une réflexion de long cours sur le sujet de l’AI. Du coup surtout dans la 2e partie, Chat GPT est un peu cité de façon pas toujours très opportune pour ne pas donner l’impression de s’éloigner trop de la promesse du titre..

Même si les 480 pages auraient pu être divisées par deux tant l’auteur se laisse aller aux redondances, peut-être par souci de clarté de son message (mais aussi, à mon avis, par une sorte de nécessité qu’il éprouve de convaincre le lecteur et une envie irrésistible de trouver le bon mot qui fait mouche).

Si l’auteur cite de nombreux exemples pour illustrer son propos, ceux-ci sont rarement sourcés, tout comme le plus souvent on ignore la provenance des citations qu’il reproduit (justement l’une des grandes faiblesses de… ChatGPT).

Il n’évite pas non plus les contradictions en s’opposant farouchement aux oiseaux de malheur, tout en brandissant lui-même des menaces apocalyptiques. Ainsi, tout en prônant l’optimisme face à l’inéluctable avancée de l’IA, Laurent Alexandre n’hésite pas à brandir le risque de chute mortelle pour l’Europe, victime d’une colonisation silencieuse, si elle rate le tournant de l’IA… mais également la fin du monde si l’humain n’arrive pas à maitriser son nouveau statut d’Homo Deus.

Enfin, selon ses propres convictions, on pourra être en désaccord avec ses positions – qui restent subjectives bien qu’argumentées (même si pars forcément sourcées donc !)- que ce soit sur l’éducation, la politique, l’économie, l’écologie (« le projet vert, c’est le Moyen Age plus les soviets »)… Lui-même admet qu’en matière d’IA il y a autant d’experts que d’opinions. Ça vaut pour d’autres sujets. Même un futurologue ne peut lire dans l’avenir, mais il peut en donner son interprétation, dommage que l’idéologie prenne ici parfois le pas !